Alassane Zoumaru : inventer une banque culturelle Taneka pour la mémoire collective et la cohésion sociale (Bénin)

Alassane Zoumaru : inventer une banque culturelle Taneka pour la mémoire collective et la cohésion sociale (Bénin)

Descendant de la lignée des « Gnam-nê », faiseurs de pluie au Bénin, famille de grands prêtres traditionnels et détentrice du calendrier de production agricole, Alassane Zoumarou, est héritier d’une histoire et de valeurs artistiques et culturelles. Sa volonté d’entretenir les biens culturels de la famille s’exprima très tôt. Appartenant à une lignée ou un clan, il avait toutes les caractéristiques requises pour que son engagement soit approuvé par les hauts dignitaires du village et qu’il en devienne le porte-parole : comportement exemplaire et bonne conduite dans l’accomplissement des œuvres ou services communautaires.

Le départ d’Alassane Zoumarou pour poursuivre ses études en ville lui laissa un sentiment très amer. En effet, les objets de sa famille furent soit détruits par les intempéries, soit pillés, bradés puis vendus aux expatriés. Il semble que le peu de soins dont ils ont fait l’objet s’explique  par le fait qu’ils sont considérés comme « improductifs » et sans valeur aux yeux des religions exogènes comme le christianisme et l’islam. Pendant le colonialisme par ailleurs, nombre de biens culturels appartenant à des individus aussi bien qu’à des collectivités furent volés. Conscient de la situation, Alassane s’engagea très vite dans la défense d’une conservation efficace des richesses culturelles et multiplia réunions, débats et émissions de radios rurales pour convaincre des bénéfices à en attendre. Grâce à un financement de l’Union Européenne, il put suivre une formation à l’Ecole du Patrimoine Africain (EPA) à Porto Novo en République du Bénin, ainsi qu’un séminaire sur les banques culturelles maliennes, et d’autres formations. Son désir de protéger le reste de l’héritage familial et d’en faire un grenier de production déboucha sur la création de la banque culturelle Tanéka, projet sur lequel il a soutenu un mémoire en médiation culturelle à l’Université de Provence Aix-Marseille I en France.

La création de la banque a permis d’établir un répertoire des artistes et héritiers Tanéka. Grâce à l’appui de la banque culturelle, ceux-ci ont bénéficié d’une amélioration de leurs conditions de vie.

Les personnes qui interagissent avec la banque culturelle sont les prêtres traditionnels, les guérisseurs, guides de tourisme, les pépiniéristes, des apiculteurs et les artistes de musique et de danse traditionnelles. La banque culturelle Tanéka est, à la fois, un instrument de protection et de valorisation des patrimoines locaux et de développement local, dans un cadre de solidarité, de partage et d’une culture d’amour. Elle a trois composantes :

– Un musée communautaire où sont exposés les objets culturels mis en dépôt par les populations. Le musée de la banque culturelle préserve les biens témoins et garants de l’identité des communautés vivant sur le territoire Tanéka. Dispositif efficace de lutte contre le trafic illicite et de réduction de la pauvreté au sein des villages, le musée abrite aujourd’hui 952 objets (instruments de musique, parures, objets rituels, objets du quotidien, accoutrements, pierres taillées, armes de chasse, défenses et restes d’animaux).

– Une caisse communautaire qui applique le système du microcrédit. En échange du dépôt d’un objet, un prêt est consenti dès lors qu’il y a un projet de développement générateur de revenus. L’emprunt remboursé, le propriétaire de l’objet peut récupérer son bien ou négocier un nouvel emprunt. Il a en permanence la possibilité de l’emprunter au musée pour les besoins d’une cérémonie ou d’une célébration et de le rapporter ensuite.

Un centre de formation et de culture. Ce centre a pour vocation :

  • L’alphabétisation et l’initiation à la gestion d’une mini-entreprise : comptabilité, gestion et organisation de la production, recherche de nouveaux débouchés pour les artisans, fonctionnement de coopératives, etc.
  • Le partage, à travers les objets du musée, des cultures et traditions des communautés du Pays Tanéka. Expositions, concerts, spectacles, conférences sont organisés.

La banque culturelle Tanéka est un lieu de rencontre et de cohésion sociale ; elle permet à chacun de vivre son patrimoine dans un espace de dialogue intercommunautaire et de partage.

Elle est également la maison-mère d’une dizaine d’associations de femmes qui gravitent autour, dans le domaine de la santé, de la gestion des ressources et de la musique. Elle suit et coordonne l’implantation d’un jardin botanique d’une superficie d’environ 10 hectares, à Tchouchouhou (TanékaBéri), qui conserve et valorise les plantes et les savoirs traditionnels.

Les ressources de la banque culturelle sont les recettes issues des visites guidées de son exposition, d’un pourcentage sur la vente des objets d’artisanat et des intérêts (5%) prélevés sur chaque prêt.