Le Prix Paul K. Feyerabend 2024 à la solidarité à Gaza. Cinq exemples de solidarité humaine à Gaza qui devraient inspirer le monde entier
Gaza est l’une des plus anciennes zones habitées du pourtour méditerranéen, dont certains vestiges remontent à cinq millénaires. Depuis le milieu du siècle dernier, cette minuscule bande de terre a accueilli jusqu’à 2,3 millions de Palestiniens, résidents d’origine et réfugiés dans des conditions de plus en plus difficiles. Depuis 2006, leur intention collective de résister a entraîné une pénurie accrue, un confinement strict, la plus forte densité de population au monde et des massacres répétés. Ce n’était qu’un prélude à ce qui se passe aujourd’hui, alors que – selon l’enquête de la Cour internationale de justice – il est très probable qu’un génocide flagrant soit en cours par l’armée israélienne avec le soutien financier et militaire des États-Unis (et pas seulement d’eux).
Depuis octobre 2023, Gaza subit des bombardements quotidiens aveugles ; des assassinats ciblés de journalistes, de médecins, d’intellectuels et de personnel des services publics ; des assassinats aléatoires de personnes, y compris lorsqu’elles brandissent des drapeaux blancs ; des humiliations et des emprisonnements massifs ; des tortures et des meurtres physiques et psychologiques massifs ; la destruction de monuments historiques, de la plupart des hôpitaux et des logements, de toutes ses universités, de ses écoles, bibliothèques, archives publiques, lieux de travail, mosquées, églises, installations de sécurité publique et même de dizaines de bâtiments des Nations unies abritant des réfugiés ; la profanation et l’élimination des corps dans des fosses communes ; la surveillance continue, le harcèlement et les déplacements multiples forcés de centaines de milliers de personnes…
L’intention génocidaire est clairement exprimée par le blocage planifié et exécuté de toute entrée de nourriture, de carburant et d’eau, aggravé par la destruction des systèmes internes de production et de distribution de nourriture et d’énergie (par exemple, les serres, les boulangeries, les unités d’énergie solaire, les lignes électriques) et la destruction des installations d’approvisionnement en eau et d’assainissement. Au moment où nous écrivons ces lignes, des dizaines de milliers d’enfants, de femmes et d’hommes ont été tués directement et indirectement, et d’autres dizaines de milliers ont été blessés et mutilés. Cette tragédie révèle la mentalité coloniale et raciste, l’inhumanité et la barbarie qui restent au cœur de notre soi-disant « civilisation ».
Le génocide à Gaza est diffusé en direct grâce aux journalistes locaux qui souvent payent leur bravoure de leurs membres et de leur vie. La seule lueur d’espoir dans tout cela est que non seulement les journalistes, mais aussi les habitants « normaux » de Gaza font preuve d’une force d’âme et d’une solidarité mutuelle incroyables, offrant une inspiration et une vision différente de l’avenir de l’humanité. Pour le Prix Paul K. Feyerabend 2024, la Fondation a identifié cinq d’entre eux qui représentent l’esprit de solidarité qui est normal dans la société palestinienne, et à Gaza en particulier, et qui, dans les circonstances actuelles, est plus vital que jamais et il doit être visibilisé plus que jamais. Ces personnes sont : le Dr. Adnan al-Bursh ; Mme Madleen Kulab ; Mr Abu Amir (Mutasem Eleiwa) et les ambulanciers Ahmed al-Madhoun et Yusuf Zeino.
Le Dr Adnan al-Bursh n’était pas seulement l’un des principaux chirurgiens de Gaza… il était aussi l’un de ses principaux humanitaires, qui avait à plusieurs reprises sacrifié sa propre sécurité pour fournir des traitements médicaux vitaux à des personnes soumises à des bombardements. En tant que chef du service d’orthopédie de l’hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza, il a contribué à la création de l’unité de reconstruction des membres, qui a ouvert ses portes après les attaques militaires israéliennes de 2014 sur Gaza.
En décembre 2023, le Dr al-Bursh s’est rendu, au péril de sa vie, à l’hôpital Al-Awda, dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, pour soigner des patients. L’hôpital avait déjà fait l’objet d’attaques répétées de la part de l’armée israélienne, notamment par des frappes aériennes qui avaient touché des ambulances et tué deux médecins de Médecins sans frontières. Le 12 décembre, l’hôpital était en fait en état de siège, entouré de troupes et de chars israéliens et soumis à des tirs presque constants de tireurs d’élite qui abattaient les patients et les infirmières depuis les fenêtres. L’approvisionnement en eau douce était coupé et les personnes à l’intérieur de l’hôpital souffraient terriblement de la faim. C’est dans cette zone de massacre qu’Adnan al-Bursh s’est précipité pour aider le flot de civils blessés admis dans l’hôpital en sous-effectif.
Le Dr Al-Bursh est né et a grandi dans le camp de réfugiés de Jabalia et a pleinement compris le paysage d’horreur dans lequel il a décidé de pénétrer lorsqu’il y est retourné pour servir à l’hôpital d’Al Awda. Pendant deux semaines, il a pratiqué des opérations à la lumière des téléphones portables et sans anesthésie, jusqu’à ce que les troupes israéliennes entrent dans l’hôpital, arrêtent tout le personnel médical, vérifient leurs papiers d’identité, arrêtent dix d’entre eux, dont le Dr al-Bursh, les déshabillent, les menottent et les emmènent à la prison d’Ofer. Une fois que lui et ses collègues sont entrés dans l’obscurité d’Ofer, il n’y a eu aucune nouvelle de leur état, jusqu’à l’annonce abrupte et insensible de la mort du Dr al-Bursh. On est toujours sans nouvelles de ses collègues. La prison d’Ofer, connue à l’origine sous le nom d’Incarceration Facility 385, est un « site noir » israélien où il ne fait aucun doute que des tortures aveugles sont pratiquées. Les quelques prisonniers libérés et même les vidéos israéliennes témoignent amplement des crimes de guerre perpétrés sur les prisonnier. Selon le propre décompte de l’armée israélienne, des dizaines de Palestiniens sont morts en détention depuis le 7 octobre 2023.
Le docteur Adnan Al-Bursh a été bombardé d’un hôpital à l’autre, mais il a refusé de laisser ses patients derrière lui et, au lieu de se diriger vers les « zones d’évacuation » au sud, il s’est rendu au nord, dans l’œil du cyclone, là où ses compétences et ses soins étaient les plus nécessaires, là où les corps mutilés et déchiquetés de son peuple étaient retirés des cratères de bombes et des décombres des bâtiments en ruine, heure par heure. Il est difficile d’imaginer une figure plus héroïque à notre époque dépravée et décourageante, et c’est bien sûr la raison pour laquelle son exemple a dû être effacé. Le Dr Adnan Al-Bursh était intelligent, humain et engagé. Il parlait plusieurs langues. Il voyait et pouvait expliquer les ravages de l’occupation et les horreurs de la guerre. Il était exactement le genre de personne qu’il fallait éliminer en tant qu’exemple et leader possible pour le peuple palestinien. (Voir : https://www.counterpunch.org/2024/05/10/medicide-in-gaza-the-killing-of-dr-adnan-al-bursh/ et https://www.counterpunch.org/2024/06/24/remember-the-palestinian-doctors-killed-by-israel/ ).
Abu Amir (Mutasem Eleiwa) est un Gazaoui, représentant de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) à Gaza depuis 2016 dans la région de Khuza’a. Sous les bombes depuis le 7 octobre 2023, il a poursuit son travail plus que jamais. Les premières réalisations sous sa coordination avaient été importantes (par exemple à Khuza’a, il y a eu la construction d’un château d’eau, de canalisations, de panneaux solaires, d’une maison d’agriculteurs, d’une pépinière solidaire, puis l’acquisition d’une voiture avec laquelle un agronome a visité des fermes tout au long de la bande de Gaza…) mais tout cela a été totalement détruit par l’armée israélienne après octobre 2023 (https://ujfp.org/la-situation-a-khuzaa/). Abu Amir, sa famille et son équipe, basés à Nuseirat, sont d’abord intervenus pour les déplacés de Rafah. Avec le peu d’argent de la solidarité qui continue d’arriver malgré les difficultés, ils ont continué à fournir des tentes, des chaussures et des vêtements, et surtout une cantine collective et un système de distribution de repas et de bouteilles d’eau à une population au bord de la famine.
Le travail d’Abu Amir s’effectue sur les routes de l’exode, dans les zones où les tentes sont installées et dans les écoles où la population s’est réfugiée. Par exemple, de grandes tentes collectives sur le front de mer à Khan Younis ont accueilli des centaines de paysans de la région de Khuza’a, qui sont restés malgré tout groupés et unis. A la mi-avril 2024, 736 familles occupaient le camp de tentes et l’équipe d’Abu Amir y préparait et distribuait de la nourriture trois jours par semaine (https://ujfp.org/un-rapport-sur-le-travail-humanitaire-dans-le-camp-des-agriculteurs-deplaces-de-lest-de-khan-yunis-temoignage-dabu-amir-16-18-avril-2024/ ). Deux projets de scolarisation des enfants et de soutien psychologique, notamment pour les femmes, ont également été mis en place avec succès. Abu Amir et son équipe déterminent au jour le jour les besoins immédiats, le montant de l’aide nécessaire et la meilleure façon de la distribuer. Une comptabilité scrupuleuse est tenue même dans l’enfer des bombardements… (https://ujfp.org/auteur/abu-amir/)
Madleen Kulab est pêcheuse depuis plusieurs années. Elle est la première femme de Gaza à exercer cette activité. Dans la société patriarcale de Gaza, arracher le droit d’exercer un métier d’homme demande beaucoup de détermination et de savoir-faire (voir https://youtu.be/XlWp0o5RFj8).
Par sa détermination et son obstination, elle a surmonté l’hostilité de certains de ses collègues et obtenu des autorités de Gaza la reconnaissance de son droit à exercer sa profession, mais a malheureusement dû se plier aux attaques incessantes de la marine israélienne. Elle a fini par perdre son bateau, capturé avec tout son matériel de pêche en 2016. Entre bonheur (son mariage, ses enfants) et moments douloureux (son jeune frère fait partie des morts des « marches du retour pacifique » de 2018), elle écrit en 2019 : « Je continuerai à aller de l’avant. Je n’abandonnerai jamais. J’ai maintenant mis en place des ateliers pour les femmes qui veulent apprendre à pêcher et à fabriquer des filets de pêche. J’ai également créé un club de pêche pour les femmes ». (https://madleenfishing.win/). Lorsque le déluge de bombes a frappé en octobre 2023, elle a dû fuir avec sa famille, dont un jeune bébé, vers le sud de Gaza. Là, elle a continué à essayer de s’organiser pour survivre en solidarité avec de nombreuses familles de pêcheurs démunies, en utilisant son site web pour lancer un appel aux personnes et aux organisations de conscience.
Ahmed al-Madhoun et Yusuf Zeino sont deux ambulanciers courageux qui ont perdu la vie en tentant de sauver une petite fille dans des conditions d’une cruauté inimaginable. En janvier 2024, la famille de Bashar Hamada et deux cousins, dont Hind Rajab, âgée de 6 ans, quittaient en voiture leur domicile dans la ville de Gaza, après avoir reçu un ordre d’évacuation. Lorsqu’ils ont été attaqués par l’armée israélienne, la plupart d’entre eux ont été immédiatement tués, mais sur la banquette arrière, Hind et sa sœur étaient blessées et couvertes de sang. Avant que sa sœur ne soit également tuée, Hind et elle ont réussi à appeler leur famille et à parler à leur mère, demandant désespérément de l’aide. Le système de santé de Gaza a alors essayé frénétiquement de se coordonner avec l’armée israélienne pour obtenir l’autorisation d’envoyer une ambulance sur les lieux afin de secourir Hind. Vers 16h30, l’autorisation a finalement été obtenue et, après s’être mis d’accord sur l’itinéraire à suivre par les secouristes (les Israéliens ont fourni aux Gazaouis une carte indiquant l’itinéraire), une ambulance est partie en direction du rond-point de Tel al-Hawa.
Dès que l’ambulance et les deux ambulanciers à bord -Yusuf Zeino et Ahmed al-Madhoun- arrivent sur les lieux, les Israéliens les prennent pour cible avec des viseurs laser… tandis que Hind continue à demander « Venez et emmenez-moi… ». L’ambulance tente alors de se rapprocher, lentement et prudemment… mais des coups de feu et des explosions éclatent. Ahmed al-Madhoun et Yusuf Zeino sont tués par un tir de char qui explose complètement leur ambulance. Hind Rajab est tuée par une dernière rafale de mitrailleuse.
Compte tenu de la portée et de l’ampleur de la collecte de renseignements israéliens à Gaza, il ne fait aucun doute que l’armée israélienne surveillait les téléphones utilisés par Hind, les ambulanciers et les fonctionnaires Gazaouis. Ils ont entendu les appels à l’aide de la jeune Hind. Ils ont entendu les sauveteurs arriver sur les lieux. Et ils les ont tous assassinés de sang-froid. C’est donc ici l’histoire de personnes dont l’empathie était trop forte pour laisser une enfant seule et d’autres dont la haine était trop forte pour les empêcher d’appuyer sur la gâchette. (Voir: Meg Kelly, Hajar Harb, Louise Loveluck, Miriam Berger et Cate Brown. « Des secouristes palestiniens ont déclaré qu’Israël leur avait donné un passage sûr pour sauver une fillette de 6 ans à Gaza. Ils ont tous été tués ». Washington Post, 16 avril 2024. https://www.washingtonpost.com/world/interactive/2024/hind-rajab-israel-gaza-killing-timeline/ )